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L'agacement a laissé place à l'incertitude. Après des semaines de coupures d'électricité rapprochées, les entreprises sud-africaines, petites et grandes, souffrent en termes de productivité mais aussi de coûts, alors qu'elles préféreraient embaucher pour oublier le blues post-pandémie.
Au Native Rebels, un bar à l'étage avec vue sur l'immense township de Soweto près de Johannesburg, le générateur, qui prend le relais du courant dès qu'il disparait, rogne largement les profits, confie à l'AFP la co-gérante Masechaba Nonyane. "On pensait que le Covid nous avait bien plombés. Maintenant, on se paye des huit heures par jour sans jus", plaisante la jeune femme branchée de 33 ans. "Très préjudiciable, ça entame nos résultats".
Le pays est familier de ces délestages mais leur fréquence s'est intensifiée récemment. Jusqu'au stade 6 (sur une échelle de huit) pendant deux semaines en juillet, soit le pire niveau depuis fin 2019. Depuis, les coupures, moins nombreuses, restent quotidiennes et assombrissent l'humeur de cette fin d'hiver austral.
Après des années de mauvaise gestion et de corruption, la société nationale Eskom est incapable de produire assez d'énergie pour subvenir aux besoins du pays. Ses centrales à charbon (80% de l'électricité en Afrique du Sud) sont vieillissantes, nécessitent des réparation.
Chaque "stade" de privation d'électricité coûte au pays l'équivalent de 29 millions d'euros par jour, selon une déclaration gouvernementale en mars. Il en résulte une spirale désastreuse, affirme à l'AFP Ismail Fasanya, maître de conférences en économie à l'université de Witwatersrand. "Les délestages entraîneront d'autres pertes d'emplois, ce qui entraînera une baisse de la production. Cela affectera les dépenses. Cela affectera encore plus la croissance", ajoute-t-il.
Devoir acheter et faire fonctionner des générateurs représente un coût supplémentaire, décourageant certains de créer leur entreprise ou des étrangers d'investir, estime l'économiste.
Horizon solaire
L'impact sur la création d'emplois est particulièrement préoccupant avec un taux de chômage aggravé à 34,5% par les effets destructeurs de la pandémie de coronavirus. "Ça saute aux yeux, il suffit de se promener dans les rues de nos townships, les sentiers de nos villages, on voit les ravages du Covid sur l'emploi", relevait vendredi le président Cyril Ramaphosa dans un discours télévisé.
M. Ramaphosa a évoqué aussi la crise énergétique, affirmant qu'il annoncerait des mesures "dans les prochains jours" sans autre précision. En attendant, il a estimé que la création d'une concurrence dans le secteur de l'énergie, avec de multiples opérateurs publics, comme cela existe dans des pays comme la Chine, ne serait "pas une mauvaise idée". "Nous devons utiliser tous les moyens disponibles et lever les obstacles réglementaires pour apporter davantage d'électricité sur le réseau dès que possible", a-t-il déclaré.
Les experts en énergie et même Eskom, criblé de dettes, appellent le gouvernement à investir rapidement dans le renouvelable, en particulier le solaire, meilleur moyen de combler le déficit énergétique. "Cela permettrait de soutenir les petites entreprises et de réduire les pertes d'emplois", note M. Fasanya. Si on y arrive assez vite pour leur éviter de mettre la clé sur la porte.
À Soweto, la patronne de bar raconte à l'AFP que son personnel ferme déjà plus tôt quand la soirée est calme, histoire de limiter la consommation en diesel du générateur. "Je suis très inquiète sur notre survie. Je crains pour mes employés, je ne sais pas combien d'entre eux je vais pouvoir garder", dit Masechaba Nonyane. Et "si les gens ne travaillent pas et n'ont pas de revenus, alors ça crée toute une série d'autres problèmes" dans un pays plombé par une criminalité forte et qui est déjà l'un des plus inégalitaires au monde.